Axes de recherche

Le programme de recherche s’articule autour de deux axes : archéologie de la Lucanie et constitution du patrimoine lucanien à Paris. Ces deux axes reflètent non seulement un intérêt pour la multiplication des recherches de terrain en Lucanie et la nécessité de proposer une nouvelle synthèse conforme aux paradigmes récents, mais aussi une attention tout particulière à souligner l’ancrage parisien de l’équipe et à mettre en valeur les collections parisiennes, tout en les réinsérant dans leur contexte historique et archéologique. Ils témoignent d’un dialogue interdisciplinaire entre l’archéologie de terrain en Italie et la conservation du patrimoine français à travers une finalité historique commune.

Laos prospection
Texte

Les fortifications

La redécouverte de la Lucanie au XVIIIe s’est d’abord faite par celle de ses fortifications: les premières, elles ont marqué l’esprit des érudits italiens et des voyageurs étrangers. On peut ainsi rappeler parmi les plus anciennes fortifications retrouvées celles de Croccia Cognato avec son double circuit de murs en grand appareil. Aujourd’hui on dénombre près d’une centaine de ces fortifications sur les collines et les plateaux bordant les principales vallées du territoire lucanien. Et pourtant, paradoxalement, elles forment un corpus peu étudié et rempli d’interrogations.La chronologie de ces ouvrages notamment a fait l’objet de vifs débats. Notre incapacité à dater avec précision ces centres fortifiés dont l’essor est souvent placé à la seconde moitié du IVe et le déclin dans le courant du IIIe s. av. J.-C. a contribué à créer des modèles historiques rigides où la fortification est conçue comme un lieu de refuge pour des populations rurales dans un climat d’insécurité permanent. Ainsi, malgré une apparente homogénéité, la fortification lucanienne s’affirme, dans ses dimensions et sa fonction, par sa grande diversité. Du modeste fortin placé au sommet d’une colline à une vaste enceinte occupée de façon permanente, il existe toute une hiérarchie des centres fortifiés. Il faut bien admettre que la question du statut de ces centres anonymes compte parmi les plus complexes. Un postulat peut servir cependant d’hypothèse de travail : les fortifications constituent, à travers leur construction, leur entretien et l’organisation de la défense, le meilleur témoignage que l’on puisse donner d’une réalisation collective. Elles sont le résultat des efforts d’une communauté et l’expression monumentale de la vie publique très structurée de la société lucanienne.

 

Les habitats

"Le monde lucanien est profondément rural’’. Cette affirmation est souvent considérée comme l’un des principaux acquis de la recherche moderne sur la Lucanie, et peu d’historiens ou d’archéologues l’ont mis à mal. Ainsi le territoire lucanien serait peuplé de villages sans réelle consistance et d’innombrables fermes tandis que les points d’agrégation de ces communautés seraient à rechercher dans les sanctuaires et dans une certaine mesure dans les fortifications. La fouille a mis au jour quelques exemples éclatants de ces fermes comme celle de Tolve, celles de Viggiano. La maison lucanienne emprunte beaucoup à l’architecture grecque aussi bien dans son plan (maison à pastas, à cour centrale) que dans sa technique de construction (solins de pierres, toits de tuiles, terres cuites architecturales)A l’intérieur d’un tel modèle, il est difficile de situer la place de certaines formes d’habitat plus complexes. La recherche archéologique, en effet, de plus en plus, a démontré l’existence d’agglomérations qui n’ont rien de modestes et dont le statut est ambiguë. Ce ne sont pas des villes au sens où on l’entend dans le monde grec ou romain et pourtant elles présentent des formes claires d’urbanisation: organisation en ‘quartiers’, réseau de rues plus ou moins orthogonal, emploi de murs de terrasse, etc. A titre d’exemple on peut penser au site de Civita di Tricarico, la plus grande agglomération fortifiée de Lucanie, ou encore ceux de Roccagloriosa ou de Pomarico Vecchio. ces centres ont dû rayonner, à différents niveaux, sur le territoire alentour et agir eux aussi comme des points d’agrégation et de structuration du paysage lucanien.

 

Les nécropoles

Les morts et la mort dans les sociétés anciennes jouent un rôle considérable dans les relations de parenté, dans la représentation sociale, et dans la structuration de la communauté. A ce titre l'étude des tombes et des rituels funéraires sont un profond réservoir d'informations sur les groupes humains. Dans le monde grec et indigène du sud de l'Italie, cette expression dans la mort de la communauté vivante livre des informations sur les échanges économiques culturels entre populations, mais aussi sur ce qui constitue la culture matérielle : céramique, outils du quotidien, armement, et parure vestimentaire, sont particulièrement présents dans les sépultures. Les nécropoles ont permis de mieux comprendre les développements économiques et culturels liés à la colonisation grecque. Les évolutions dans le rituel funéraire permettent aussi de dresser la "carte d'identité" de chaque culture, de chaque peuple vivant dans la région : grâce à des traits communs que l'assemblage des objets prenant par au devenir des morts, l'archéologie peut définir des aires culturelles et parfois les relier avec les sources écrites qui ne sont donc pas laissées pour compte. En Lucanie, ces tombes nous renseignent sur les phénomènes migratoires évoqués dans les textes, ainsi que sur l'évolution de pratiques telles que le banquet, le sacrifice, la guerre, de même qu'elles nous permettent d'étudier, par l'iconographie des vases antiques, l'histoire de l'art grec et italique. 

Candelabro Anzi

Le patrimoine

Texte

Afin d’étudier les antiquités de Lucanie conservées dans les collections des musées parisiens nous avons décidé d'étendre les limites géographiques et chronologiques de cette région à la Grande Lucanie existante depuis les réformes territoriales d’Auguste (qui divise l’Italie en Onze régions) à celle de Joseph Bonaparte au début du XIXe siècle (calquée sur le modèle français). C’est à ces mêmes limites que se sont référés tantôt les voyageurs, antiquaires et collectionneurs à qui nous devons l’arrivée de ces antiquités « lucaniennes » à Paris.

Au cours de cette première phase de recherche, nous avons réuni 428 objets à Paris, constituant un ensemble hétérogène. Pour leur recollement a été mise au point une base de données au sein de laquelle ils furent classés. De là, le travail s’est divisé en axes distincts, en commencant par l'analyse typologique des matériaux archéologiques. 

Même s’il existe déjà des publications antérieures sur certains artéfacts lucaniens conservés à Paris, l’ensemble n’a jamais été étudié de manière générale. De ce fait ce travail fournit une base d’informations pour toute personne portant un intérêt particulier sur patrimoine « lucanien-parisien ».

A l’issue de cette première étude, nous savons que 249 antiquités sont conservées au Cabinet des médailles, 96 au Musée du Louvre, 62 au musée du Petit Palais, 18 au musée Antoine Vivenel, 2 au musée Rodin et 1 au musée de Sèvres. Dans le cas du musée Antoine Vivenel, situé à Compiègne il est considéré dans ce travail comme musée « proche-parisien » au vu de la qualité des antiquités et des caractéristiques du personnages qui ouvrent de nouvelles pistes sur le rôle que pouvaient avoir les objets à Paris.

Ces 428 objets, dont la majorité se date de l’époque classique, renvoient à l’une des six catégories : céramique, terres cuites architecturales, petite plastique, bronzes, ambres ou monnaies. Leur étude nous a également permis de distinguer deux phases de production : pré-lucanienne et lucanienne ou dite lucanienne.

Cependant, la majorité d’entre eux soulèvent le problème de la décontextualisation, à l’exception des mobiliers funéraires de Sala Consilina (conservé au Petit Palais), des terres cuites architecturales de Métaponte (conservées au Cabinet des médailles) et d’une ciste en terre cuite de Guardia Perticara (conservée au Louvre). Ce problème nous empêche d’attribuer à un nombre important d’artefacts, un lieu de découverte.

A la suite de l’examen matériel et technique des pièces, s’est ouvert une deuxième piste de recherche avec les voyageurs et collectionneurs qui de près ou de loin sont à l’origine de leur arrivée à Paris. La découverte et l’achat des objets sont à mettre en relation avec le nouvel intérêt porté sur les trouvailles d’Italie du sud, qui prend un essor considérable suite aux découvertes de Pompéi et d’Herculanum, à l’heure où le nord italien ne révèlent plus de nouveautés archéologiques répondant au gout des collectionneurs.

Parmi les treize personnages mis en lumière dans cette première recherche, se distingue la figure emblématique du Duc de Luynes, non parce que la majorité des pièces lui appartenaient mais car une partie d’entre elles, les terres cuites architecturales de Métaponte, ont pu être remise en contexte. Le Duc de dégage par son statut d’archéologue en rapportant des pièces fragmentaires mais capables de répondre aux interrogations de son époque, notamment celle de la polychromie des monuments antiques qui fait encore débat au XIXe siècle.

L’étude de ces collectionneurs nous a permis de discerner deux grands profils de collectionneurs : voyageurs et acheteur sur le sol italien et acheteurs sur le sol français.

Nous avons également exposé trois modes de transmission de collection des collections : legs, dons et vente (cinq ventes pour quatre legs et quatre dons).

Au terme de cette première approche des antiquités de Lucanie présents dans les collections des musées parisiens, un nouvel axe de recherche s’est ouvert, cette fois ci sur leur parcours et leurs conditions d’arrivées dans la capitale française. Il faut appuyer l’importance de poursuivre les recherches afin de connaître également les conditions de transfert (légales ou illégales) ainsi que le rôle qu’elles pouvaient jouer dès leur arrivée à Paris.